Le milieu de travail, victime collatérale de la violence conjugale ?

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La violence conjugale a des effets dévastateurs sur la santé mentale et physique des femmes qui en sont victimes. Pourtant, elles ne sont pas les seules à subir ces impacts. Lorsqu’elle s’infiltre dans le milieu de travail, la violence a des conséquences néfastes pour l’organisation tout entière : la victime, ses collègues, l’employeur et l’organisation. 

En effet, face à une situation de violence conjugale, les collègues de la victime peuvent, eux aussi, être préoccupé·e·s par la sécurité de la victime, ou par leur propre sécurité. La rupture étant un moment particulièrement dangereux pour les femmes victimes, le conjoint violent peut se présenter soudainement sur le lieu de travail et être menaçant. Les collègues, les gestionnaires ou les autres personnes présentes sur les lieux ne sont pas à l’abri de harcèlement, de menaces, voire d’actes de violence physique de la part du conjoint violent (1).

Par ailleurs, l’employée victime de violence conjugale est grandement affectée dans la réalisation de ses tâches. Une baisse de productivité peut également causer certaines tensions ou frustrations au sein même de l’équipe de travail qui se trouvera surchargée par la redistribution des tâches (2). La personne victime peut subir alors une double peine : en plus de la violence de son conjoint, elle fait face au jugement ou au rejet de ses collègues.

Dans ces situations, l’employeur aura alors à agir, soit par la mise en place d’un plan de sécurité pour protéger le personnel, soit pour apaiser les conflits au sein de l’équipe de travail. Pour éviter de se retrouver devant le fait accompli, l’employeur a tout intérêt à mettre en place diverses mesures préventives et à les formaliser dans des documents internes pour assurer le bien-être et la sécurité du personnel au sein de l’organisation.

Sur le plan économique, le coût de la violence conjugale est estimé à 77,9 millions de dollars par an pour les employeurs canadiens (3).

La prévention de la violence conjugale en milieu de travail peut donc faire toute la différence dans la diminution des répercussions sur toute l’organisation.

 

Quelques exemples d’impacts sur l’ensemble de l’organisation (4)

Les conséquences de la violence conjugale sur l’employabilité des personnes victimes


Certains signes qu’une personne vit de la violence conjugale peuvent vous alerter lorsque vous vous trouvez sur votre lieu de travail
. Cependant, d’autres actes de violence se passent à l’abri des regards, au sein du couple. 

« Juste avant mon party de bureau, il m’a prise par les épaules de force devant le miroir. Il me disait que je m’étais maquillée comme une “guidoune”. Je l’ai supplié d’arrêter. Il disait que je voulais impressionner quelqu’un. J’avais beau lui dire que ce n’était pas vrai, essayer de le raisonner, lui dire que c’est à lui que je voulais plaire, il continuait. J’étouffais. J’ai fini par crier après lui et j’ai griffé sa main en essayant de me déprendre. Il m’a lâché en me traitant “de cr*ss de folle”. Lors de la soirée, une collègue est venue me dire qu’il montrait son égratignure à tout le monde, et qu’il leur demandait comment ils me trouvaient au bureau, parce que j’étais agressive à la maison et qu’il ne savait plus quoi faire… » (5)

Diverses stratégies d’isolement relatives au contrôle coercitif visent à empêcher la femme de se rendre au travail, et même d’avoir le droit de travailler ou d’avoir des relations sociales avec ses collègues (6)

Voici quelques exemples d’actes de violence affectant l’employabilité (7) :

  • Violence physique avant de se rendre au travail ;
  • Séquestrer la personne ;
  • Menacer de faire du mal aux enfants ;
  • Dissimuler les clés de la maison, de la voiture ;
  • Refuser de donner de l’argent pour le transport ;
  • Cacher ou détruire les vêtements ou les documents de travail ;
  • Empêcher sa conjointe de dormir ;
  • Rendre inutilisable le véhicule (8) ;
  • Forcer à demander un congé maladie (9) ;
  • Avertir à la dernière minute qu’il ne pourra pas garder les enfants (10).

Les stratégies d’isolement ont inévitablement de lourdes répercussions sur la capacité de la personne victime à maintenir ses compétences essentielles à la conservation de son emploi ou à s’adapter à de nouvelles formes de travail. Son rendement et ses possibilités de recevoir une promotion sont également amoindris (11). Les répercussions sur sa capacité à travailler convenablement peuvent même mener à des sanctions disciplinaires, voire à un licenciement. Les conséquences nuisibles de la violence conjugale sur le parcours professionnel à court, moyen et long terme ne sont plus à démontrer (12).

 

L’importance de détenir un emploi pour les personnes victimes de violence conjugale


Avoir une stabilité et une indépendance financière sont des éléments qui vont aider une femme à quitter son conjoint violent. Elle saura qu’elle pourra, par exemple, assurer la prise en charge financière de ses enfants ou payer son loyer. Le fait de travailler et d’entretenir des relations sociales permet également à la femme de ne pas rester isolée avec son agresseur et de se sentir utile et compétente (13)
. En outre, le travail est bénéfique pour les femmes victimes. Car c’est un endroit propice pour accéder à du soutien (14), surtout si l’entourage de travail a été sensibilisé ou formé à l’enjeu de la violence conjugale.

 (1) K. L. SCOTT, D. B. LIM, T. KELLY, M. HOLMES, B. J. MACQUARRIE, C. N. WATHEN, J. C. D. MACGREGOR. Domestic Violence at the Workplace: Investigating the Impact of Domestic Violence Perpetration on Workers and Workplaces. University of Toronto. Ontario. 2017.

(2) REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE. Réforme de la loi santé et sécurité au travail : créer des milieux de travail sécuritaires et aidants pour les victimes de violence conjugale, Mémoire présenté dans le cadre du dépôt du projet de loi 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. 2021.

(3)  C.N. WATHEN, J. C. D. MACGREGOR, B. J. MACQUARRIE, avec le CANADIAN LABOUR CONGRESS. Peut-on être en sécurité au travail quand on ne l’est pas à la maison ? Premières conclusions d’une enquête pancanadienne sur la violence conjugale et le milieu de travail. Centre for Research & Education on Violence Against Women and Children. Ontario. 2014. [https://congresdutravail.ca/wp-content/uploads/2019/11/Survey-Report-2014-FR.pdf]

(4)  DV@WORKNET. The impact of domestic violence on workers and workplaces. Ontario, Canada. 2018

(5) SOS VIOLENCE CONJUGALE. Comme une cage de verre : emprise et contrôle coercitif en violence conjugale. [s. d.] [https://sosviolenceconjugale.ca/fr/outils/sos-infos/comme-une-cage-de-verre-emprise-et-controle-coercitif-en-violence-conjugale]

(6)  EVAN STARK. « Une re-présentation des femmes battues : contrôle coercitif et défense de la liberté » dans Violence envers les femmes – Réalités complexes et nouveaux enjeux dans un monde en transformation. Sous la direction de Maryse Rinfret-Raynor et collab. Presses de l’Université du Québec. 2014. [https://www.puq.ca/catalogue/livres/violences-envers-les-femmes-2082.html]

(7)  Inspiré du séminaire Addressing domestic violence in the workplace through collaboration, Centre for Research & Education on violence against women and children. Université Western. Ontario, Canada. Mars 2021. [https://www.dvatwork.ca/fr]

(8)  EVAN STARK, op. cit.

(9)  Ibid.

(10)  Ibid.

(11)  Ibid.

(12) C. J. GIESBRECHT. « Toward an Effective Workplace Response to Intimate Partner Violence » in Journal of Interpersonal Violence. University of Washington. États-Unis. 2020. [https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0886260520921865]

(13) REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE. Réforme de la loi santé et sécurité au travail, op. cit.

(14) C. N. WATHEN, J.C. D. MACGREGOR, B.J. MACQUARRIE. «The Impact of Domestic Violence in the Workplace: Results From a Pan-Canadian Survey », Journal of Occupational and Environmental Medicine, 57(7), e65-e71. 2015.  [https://journals.lww.com/joem/Fulltext/2015/07000/The_Impact_of_Domestic_Violence_in_the_Workplace_.19.aspx]

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