Quand la migration s’ajoute à la violence conjugale : les défis des femmes immigrantes
8 min.Le contrôle coercitif
La violence conjugale est une réalité sociale qui peut se manifester dans tous les types de relations amoureuses, peu importe son âge, son orientation sexuelle, sa classe sociale, son origine, sa culture ou sa religion.
La violence conjugale ne se manifeste pas que par des coups. Un partenaire violent met en place différentes stratégies de violence pour isoler, contrôler et priver la victime de sa liberté : c’est ce qu’on appelle le contrôle coercitif. Le contrôle coercitif est une nouvelle manière de voir la violence conjugale pour comprendre le lien entre différents actes de violence perpétrés par un partenaire violent.
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Les obstacles vécus par les femmes immigrantes pour échapper à la violence
Toutes les femmes victimes de contrôle coercitif font face à de nombreux obstacles lorsqu’elles souhaitent quitter une relation violente. Elles peuvent avoir peur pour leur sécurité et celles de leurs enfants, craindre de perdre leur travail ou de se retrouver sans argent, ne pas savoir où aller, avoir peur de perdre la garde de leurs enfants, etc.
Caroline, femme immigrante avec un permis de travail lié à son conjoint témoigne :
« Je restais tétanisée, je faisais de mon mieux pour protéger mon visage. Je ne voulais pas que cela se sache à mon travail », dit-elle après avoir décrit trois moments où son ex-mari lui a donné des coups. « Je voulais pouvoir faire un permis de travail. […] C’était devenu invivable dans la maison, mais je suis restée quand même », raconte-t-elle [1].
Les femmes immigrantes, quant à elles, rencontrent des défis supplémentaires pour dénoncer une situation de violence [2]. Leur hésitation à partager leur situation est souvent influencée par une combinaison d’obstacles [3].
- L’immigration
Arriver dans un nouveau pays, c’est plonger dans un univers où tout change : cadre culturel, lois, institutions. En plus du bouleversement vécu par la transition migratoire, ces femmes peuvent se retrouver dans un contexte où elles ne connaissent pas toujours leurs droits ou les ressources disponibles, ce qui accentue leur vulnérabilité face à la violence conjugale.
- Les barrières linguistiques : une entrave majeure
La langue constitue un obstacle crucial. Ne pas maîtriser les langues officielles complique l’accès aux ressources et renforce la peur de ne pas être comprise. Un partenaire violent peut exploiter cette situation en parlant à la place de la victime ou en lui donnant de fausses informations. Il contrôle ainsi son accès à l’information ou empêche sa participation à des cours de francisation. Les femmes elles-mêmes peuvent être exclues de ces cours en raison de leur statut migratoire ou de leur précarité financière, renforçant ainsi leur isolement.
- Les pièges du statut migratoire
Le statut migratoire des victimes de violence conjugale est fréquemment utilisé comme outil de contrôle par le partenaire. En confisquant les papiers d’identité, en forçant la femme à signer des papiers qu’elle ne comprend pas ou en menaçant de dénoncer la victime aux autorités, l’agresseur installe un climat de peur et de dépendance. Beaucoup de femmes craignent de dénoncer la violence, redoutant des représailles ou même l’expulsion de leur pays d’accueil.
- La méconnaissance des droits
Nombreuses sont les femmes qui ignorent leurs droits au Canada, comme celui de vivre sans violence ou d’obtenir un statut indépendant de leur conjoint violent. La barrière de la langue et l’isolement aggravent leur difficulté à accéder à des informations, telles que les ressources sociales ou juridiques qui pourraient les aider à se protéger et à faire valoir leurs droits.
- Une méfiance envers les institutions
Les expériences passées avec des institutions corrompues dans leur pays d’origine peuvent pousser les femmes immigrantes à se méfier des autorités dans leur pays d’accueil. Cette méfiance, qu’il s’agisse de la police, de la justice, des services sociaux ou de Direction de la protection de la jeunesse, limite leur recours à ces instances qui pourraient les protéger.
- La violence économique et la précarité financière
Le contrôle économique est une arme puissante utilisée par les partenaires violents pour maintenir leur emprise. Surveillance des dépenses, privation de biens essentiels, contrôle des comptes bancaires : ces pratiques enferment les victimes dans une dépendance financière. Les discriminations sur le marché du travail et la difficulté à faire reconnaître leurs qualifications et leurs diplômes par le pays d’accueil placent les femmes immigrantes dans une précarité économique parfois insurmontable. Pour certaines, leur statut précaire les empêche d’avoir accès à un travail, ce qui augmente leur dépendance au conjoint.
- La pression communautaire et le tabou de la violence conjugale
Certaines femmes doivent faire face à des pressions communautaires ou familiales les incitant à rester dans une relation violente pour préserver l’union familiale. La séparation peut être perçue comme un déshonneur, et dénoncer la violence conjugale peut entraîner le rejet social ou familial. De plus, dans certains milieux, la violence conjugale demeure un sujet tabou, qui ne doit pas être exposé en dehors de la sphère familiale. Lorsque la femme décide de dévoiler sa situation aux autorités, elle peut être reniée par sa famille et accusée de vouloir faire du tort à son conjoint.
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Tous ces facteurs combinés – la peur, les menaces, l’isolement linguistique et culturel, la méconnaissance des droits, la dépendance économique et les pressions sociales – créent une toile complexe qui emprisonne les femmes immigrantes dans des situations de violence. Ces barrières, souvent invisibles, empêchent trop souvent ces femmes de chercher de l’aide ou de dénoncer leur agresseur.
[1] Le Devoir, Des immigrantes enfermées à double tour dans la violence conjugale. Consulté en ligne, mai 2024.
[2] La Méridienne, Comprendre pour mieux intervenir auprès des femmes immigrantes victimes de violence conjugale, 2017.
[3] Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPII), La concertation locale au service des femmes immigrantes vivant de la violence conjugale à Parc-Extension, 2023.